
Les chauves-souris sont des créatures fascinantes à bien des égards, et l’une de leurs caractéristiques les plus surprenantes est leur résilience face aux infections virales. Ces mammifères volants, qui sont à l’origine de nombreuses zoonoses (maladies transmissibles des animaux aux humains), hébergent des virus parfois extrêmement dangereux pour les autres espèces. Des virus comme Ebola, Nipah, le virus de la rage et les coronavirus sont tous des exemples de pathogènes que les chauves-souris peuvent transporter sans souffrir de leurs effets délétères. Cette étrange capacité des chauves-souris à être des hôtes silencieux de ces virus mortels a suscité l’intérêt des chercheurs qui se sont penchés sur les raisons de cette tolérance exceptionnelle.
Une Recherche Internationale pour Comprendre la Tolérance des Chauves-Souris
Une équipe de chercheurs internationaux a entrepris de séquencer le génome de plusieurs espèces de chauves-souris pour mieux comprendre pourquoi elles semblent indifférentes à des virus qui peuvent être dévastateurs pour d’autres mammifères, y compris les humains. En comparant le génome des chauves-souris avec celui d’autres mammifères, les scientifiques ont pu identifier des changements génétiques qui expliquent en partie cette résilience immunitaire.
Le travail de séquençage a permis de découvrir plusieurs caractéristiques génétiques uniques chez les chauves-souris, notamment des mutations qui affectent leur réponse immunitaire. Ces adaptations génétiques pourraient expliquer non seulement leur capacité à tolérer des virus sans développer de maladies graves, mais aussi pourquoi elles sont capables de survivre à des infections virales sans présenter de symptômes graves.
Une Réponse Immunitaire Exceptionnelle : Le Rôle de la Protéine ISG15
L’un des principaux résultats de cette étude est l’identification d’un gène clé chez les chauves-souris : le gène ISG15. ISG15 est une protéine impliquée dans la réponse antivirale des cellules. Cependant, cette protéine a une double action : elle est antivirale lorsqu’elle est présente dans les cellules, mais elle peut aussi devenir inflammatoire lorsqu’elle est secrétée dans les tissus. Une production excessive d’ISG15 dans les tissus peut entraîner une inflammation incontrôlée, un phénomène qui est associé à des formes graves de maladies virales chez les humains, comme l’hyper-inflammation observée dans les cas graves de Covid-19.
Chez les chauves-souris, cependant, une mutation ancestrale du gène ISG15 a permis de supprimer la forme sécrétée de la protéine, tout en conservant sa capacité à contrer les infections virales dans les cellules. Cette adaptation pourrait expliquer pourquoi les chauves-souris ne subissent pas les mêmes niveaux d’inflammation excessive que les autres mammifères lorsqu’elles sont exposées à des virus. Ainsi, leur système immunitaire est capable de lutter contre les virus sans provoquer une réaction inflammatoire excessive qui pourrait être fatale.
Le Vol et la Réduction de l’Inflammation
Cette découverte est particulièrement intéressante car elle s’inscrit dans un contexte plus large de mutations génétiques liées au vol chez les chauves-souris. En tant que seuls mammifères capables de vol battu, les chauves-souris font face à une activité métabolique et physiologique intense qui, si elle est mal régulée, pourrait entraîner des effets délétères, notamment des inflammations et des maladies liées au stress oxydatif. Pour soutenir un tel mode de vie exigeant, les chauves-souris ont développé des mutations génétiques pour réduire l’inflammation et maintenir l’équilibre de leurs tissus pendant qu’elles effectuent des activités physiques intenses.
Les chercheurs pensent que ces mutations immunitaires pourraient être un sous-produit de l’évolution de l’aptitude au vol chez les chauves-souris. Leur capacité à voler pendant de longues périodes a favorisé des modifications génétiques qui non seulement réduisent les risques d’inflammation liée à l’activité physique, mais qui ont également des effets bénéfiques sur leur réponse immunitaire, rendant les infections virales plus tolérables et moins graves.
La Longévité et l’Absence de Cancers : Un Bénéfice Collatéral ?
Une autre découverte intrigante est le lien potentiel entre la réduction de l’inflammation et la longévité exceptionnelle des chauves-souris. Contrairement à de nombreux autres mammifères, les chauves-souris ont une durée de vie étonnamment longue pour leur taille, certaines espèces vivant plusieurs dizaines d’années. De plus, elles semblent présenter un risque extrêmement faible de cancer, malgré leur exposition à une grande variété de virus, y compris des agents cancérigènes potentiels.
Les scientifiques suggèrent que les mécanismes d’immunité modifiée des chauves-souris pourraient être responsables de cette longévité. En réduisant l’inflammation, elles limitent les dommages cellulaires qui sont souvent associés au vieillissement et au développement de maladies, y compris le cancer. Cette capacité à contrôler l’inflammation de manière fine et précise pourrait expliquer pourquoi ces animaux vivent plus longtemps et sont moins sujets à des affections liées à l’âge, comme le cancer.
Implications pour la Médecine Humaine
Les découvertes faites sur la tolérance aux infections des chauves-souris ont des implications profondes pour la recherche médicale. Comprendre comment les chauves-souris parviennent à contrôler l’inflammation tout en combattant efficacement les infections virales pourrait ouvrir de nouvelles pistes pour traiter des maladies humaines, notamment des infections virales graves et des conditions liées à l’inflammation chronique.
Par exemple, la gestion des réponses inflammatoires excessives est un problème majeur dans de nombreuses maladies humaines, y compris le Covid-19, les maladies auto-immunes et certains types de cancers. Les chercheurs espèrent que l’étude des mécanismes d’immunité des chauves-souris pourrait conduire à des traitements innovants pour moduler l’inflammation de manière plus précise, sans supprimer totalement la capacité du corps à se défendre contre les infections.
En conclusion les chauves-souris sont des animaux remarquablement résistants aux infections virales, grâce à des adaptations génétiques uniques qui leur permettent de tolérer des virus potentiellement mortels sans en souffrir. Les récentes découvertes concernant leur système immunitaire, notamment le rôle du gène ISG15 et des mutations liées à l’intensité de leur activité métabolique, ont non seulement éclairé la manière dont ces animaux gèrent les infections virales, mais elles ont également des implications importantes pour la médecine humaine. L’étude de ces mécanismes pourrait nous permettre de mieux comprendre comment réduire l’inflammation et améliorer le traitement de diverses maladies humaines, tout en offrant des perspectives pour accroître la longévité et prévenir certaines pathologies, telles que le cancer. Les chauves-souris, malgré leur réputation de porteuses de virus, détiennent en fait des clés précieuses pour la science médicale.